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Le blog de Stephen Monod
16 avril 2015

De l’Arménie et d’Antigone

Sophocle faisait dire à Antigone que les lois non écrites des Dieux l’emportaient sur celles des hommes. Tel est le droit naturel qui veut que les règles morales consubstantielles à l’humanité transcendent les lois des sociétés humaines.

Considérant qu’en pratique, une règle ne peut être exécutée que s’il y a une loi pour l’imposer, certains font du droit naturel un concept vide mais c’est en nier l’objet qui est de s’opposer au droit positif, de le refuser au nom de la morale.

En revanche, la notion de droit naturel est une épée à double tranchant qui doit le meilleur mais peut le pire.

Une loi supérieure à celles des hommes, venue de Dieu et l’emportant sur celles-ci est justement le fondement de beaucoup des crimes qui endeuillent aujourd’hui la planète même si en l’occurrence, la loi supérieure serait écrite.

Une loi supérieure au droit positif d’un Etat ou d’une époque, venue de Dieu ou de l’humanité et s’identifiant à la morale, est justement ce qui a permis au crime contre l’humanité d’être retenu avant même d’être codifié et d’être appliqué à des faits antérieurs à sa reconnaissance judiciaire. C’est ce fondement qui a permis le procès de Nuremberg, c’est celui-là même qui impose de reconnaître le génocide arménien, lever de rideau des génocides du XXème siècle.

Génocide arménien et génocide juif ont relevé du même délire dans la criminalité et de la même rationalité glaçante dans l’exécution: les réunions du Comité Union et Progrès des Jeunes Turcs tenues entre les 20 et 25 mars 1915 furent au génocide arménien ce que la conférence de Wannsee fut à la solution finale.

Aujourd’hui pourtant, on n’imagine pas Madame Merkel rappelant son ambassadeur en Israël au motif d’une évocation de la Shoah alors que l’évocation du génocide arménien par le Pape a conduit à un rappel de l’ambassadeur turc auprès du Vatican.

Pour que l’Allemagne dans son ensemble comprenne avoir commis un crime absolu et comprenne que son avenir ne serait jamais moral si elle ne le reconnaissait pas, il aura fallu la volonté des vainqueurs, la lente acculturation de l’Allemagne à la démocratie jusqu’à l’image de Willy Brandt à genoux devant le mémorial du ghetto de Varsovie, outre les actions de quelques uns, des époux Klarsfeld à Simon Wiesenthal.

Toutes choses dont la mémoire arménienne fut privée, en premier lieu parce que la Turquie n’a pas été vaincue et donc contrainte à regarder son passé, en second lieu parce que son acculturation à la démocratie n’est pas accomplie. Le résultat en est une négation du crime, érigée en dogme.

Retenant la leçon d’Antigone s’opposant à Créon pour enterrer son frère, il ne faut cesser de refuser ce que Péguy appelait déjà à propos du massacre des Arméniens des années 1894 à 1896, la conspiration du silence.

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