De l’Heure et du Temps

Deux fois chaque année, le Prince change l’Heure. Le prétexte est celui de l’économie d’énergie. Ainsi pendant l’été, Paris se trouve à l’heure de Varsovie et l’hiver à celle de Berlin. La mesure étant européenne, un esprit chagrin pourrait se demander pourquoi le besoin d’économies décroît à mesure que l’on se dirige vers l’est. Si le raisonnement servi à l’appui de la mesure était sérieux, Berlin devrait être à l’heure de Varsovie et Varsovie à celle de Moscou. Varsovie à l’heure de Moscou est historiquement provocant mais pas davantage que Paris à l’heure de Berlin …

Alors que l’on traverse les Etats-Unis dans le sens de la largeur en changeant d’heure plusieurs fois, l’Europe veut que l’heure de Compostelle soit celle de la Vistule. N’ayant su créer une unité, ne réussissant pas à gérer de façon collective les crises les plus graves que ses membres rencontrent, l’Union Européenne se réjouit que ses citoyens aient la même heure, un peu comme Napoléon aimait à savoir que chaque classe d’élèves suivait le même enseignement, le même jour, à la même heure. A défaut de pouvoir agir sur l’important, on réglemente le dérisoire, la pratique de l’illusion se novant en hochet de la vanité.

Pourtant le choix de l’heure comme objet d’exercice du dérisoire n’est pas totalement un hasard en ce qu’il renvoie à l’interrogation sur le temps. L’homme se bouge dans l’espace, toujours plus loin, à la rencontre de contrées, de continents, de planètes, d’étoiles, d’univers. L’homme peut étudier le passé et anticiper l’avenir. Pour autant, il ne se déplace pas dans le temps, il n’agit pas sur le temps, il ignore quand le temps a commencé, il ignore même si celui-ci a commencé ou s’il a toujours été et si le temps a commencé, l’homme ne perçoit pas ce que pouvait être le temps d’avant le temps.

Décider de l’heure en dépit de sa réalité est une vaine manière d’oublier que “Dieu nous laisse l’espace et garde la durée.“ (Victor Hugo)