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Le blog de Stephen Monod
22 mai 2014

Du décret de Monsieur Montebourg

L’écolier d’avant mai 1968 apprenait qu’il devait aimer la France. C’était simple. Ensuite il apprit qu’il devait aussi aimer l’Europe, puis le monde, le tiersmonde, le quart-monde, le plein-emploi et même plus tard le marché. C’est devenu compliqué.

Lorsqu’il ne s’agissait que d’aimer la France, il suffisait de la préférer à ce qui était au-delà des frontières. Mais aimer l’Europe c’est justement ne pas lui préférer la France. Aimer le monde c’est ne pas lui préférer l’Europe et a fortiori la France. Aimer le marché c’est aimer que chacun s’arrange comme il l’entend sans tenir compte de la France, de l’Europe et du monde et aimer le plein emploi c’est aimer que chacun s’arrange pour que tous aient un emploi. C’est encore plus compliqué.

Un homme politique français c’est-à-dire cartésien et rationnel sait mettre en ordre ce qui est compliqué, c’est-à-dire créer une hiérarchie des préférences. Longtemps ce fut la France, puis l’Europe, puis le plein emploi, puis le marché, puis très accessoirement le monde, le tiers-monde et le quart-monde. Cela devenait plus simple.

Puis vinrent les traités et règlements européens qui compliquèrent l’ordre cartésien: l’amour du pays dut passer par le respect de l’Europe et comme celle-ci aima le marché, celui-ci profita de l’aubaine ainsi d’ailleurs qu’une partie du monde car faire fabriquer dans les pays du tiers-monde, pour contestables que soient certaines pratiques, a tout de même apporté à ces pays une opportunité de développement.

Il y eut pourtant des retours comme lorsque Monsieur de Villepin pensa que le secret de fabrication du yaourt de Danone relevait du Patrimoine et devait donc être défendu contre les appétits de l’étranger : le yaourt paraissant un peu futile, la disposition de Monsieur de Villepin engloba des secteurs plus stratégiques. Voyant le marché sur le point d’emporter quelques turbines d’Alstom, Monsieur Montebourg dont on ne savait pas qu’il fut un prosélyte de la pensée de Monsieur de Villepin, a décidé d’étendre la protection du yaourt et autres à celle de plus de la moitié des activités du CAC 40.

Quant au plein emploi et au rebours de l’Alsace-Lorraine, on en parle toujours et on semble n’y penser jamais.

Ce beau désordre qui n’est pas un effet de l’art, oblige à reposer le problème des investissements étrangers en France et tout d’abord à essayer de le bien poser.

La question peut certes intéresser l’Europe et même le monde mais pour l’essentiel elle concerne la relation entre la raison d’Etat et les intérêts privés.

Dans un régime socialiste conforme à son idéologie d’origine très éloignée donc de celle qui a cours rue de Solférino, les moyens de production appartiennent à la collectivité et il ne peut donc y avoir de conflit entre l’Etat et les intérêts privés puisqu’en pratique ceux-ci n’existent pas.

Dans un régime libéral, les intérêts privés agissent librement et l’Etat s’abstenant, il n’y a pas non plus lieu à conflit entre l’Etat et les intérêts privés.

La France n’a pas davantage adhéré au socialisme qu’au libéralisme et évolue dans un colbertisme ramolli par ses engagements européens où se mélangent intérêt public et intérêts privés dans une relation quasi dialectique portée par des personnes au demeurant interchangeables. En prendre acte implique de distinguer les secteurs de l’économie où l’Etat devrait pouvoir intervenir et ceux qu’il pourrait avantageusement délaisser.

Avant de tracer cette ligne, il faut rappeler quelques vérités. L’intervention de l’Etat dans la sphère des intérêts privés est une entorse au droit de propriété. La liberté d’investir fonctionne dans les deux sens et ceux-là même qui s’inquiètent du rachat d’une entreprise française par une entreprise étrangère ne trouvent rien à redire contre l’inverse, notamment quand LVMH ou Kering font leur marché en Italie ou encore quand la BNP rachète la Banca del Lavoro. Les entreprises françaises détenues par des capitaux étrangers restent soumises au droit français pour leurs activités en France et ne sont pas nécessairement celles où le salarié est le plus mal traité : une enquête récente plaçait Mc Donald et Microsoft parmi les grandes entreprises dont les salariés français étaient les plus heureux. Enfin, l’intervention de l’Etat peut être protéiforme et il y a une marge entre l’interdiction d’un investissement au seul motif de la nationalité de son auteur et la possibilité d’imposer des conditions à un tel investissement pour des raisons d’intérêt général.

Quelle que soit la nature de l’intervention considérée, la ligne de fracture entre les secteurs économiques où l’Etat pourrait intervenir et ceux où il ne le devrait pas, est celle tracée par sa fonction régalienne d’assurer la sécurité du territoire. L’Etat devrait conserver une capacité d’intervention dans ce qui touche à la défense, notamment s’agissant de prises de contrôle d’entreprises ou de déplacements de leurs activités. La question des secteurs stratégiques autres que ceux de la défense, tels ceux des énergies majeures comme l’atome ou le pétrole, est plus complexe en ce que l’Etat ne peut ni s’en exclure ni activement les diriger.

Pour le surplus, on ne saurait rétablir des barrières aux frontières en ce que le besoin le plus essentiel est d’attirer les investisseurs étrangers plutôt que de les faire fuir.

 

 

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