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Le blog de Stephen Monod
19 janvier 2017

De l’ombre portée

La France apprit de façon presque simultanée que son Président graciait madame Sauvage et ordonnait de temps en temps de dépêcher ad patres quelques ennemis de la République. La lettre de cachet pour élargir, l’ordre secret pour éliminer.

La grâce de madame Sauvage est paradoxale en ce qu’avant d’être décidée, elle était réclamée par tout ce que la cause des droits des femmes pouvait réunir et qu’après, elle fut critiquée par nombre de magistrats. La grâce ne change pas le jugement lequel reste entier. Elle est seulement un pardon exonérant de tout ou partie de la peine. Contrairement à ce que beaucoup pensent, la grâce n’est même pas un pouvoir discrétionnaire du Président de la République en ce que le décret qui l’ordonne est soumis aux contreseings du Premier Ministre et du Ministre de la Justice. Pour autant, la grâce reste en pratique une décision propre du Président lequel intervient à cette occasion dans le cours de la justice sans, à une exception près – le refus par Monsieur Balladur de contresigner une grâce voulue par Mitterrand –, que les ministres ne se sentent légitimes pour s’y opposer.

Le choix d’occire certains ennemis du pays est de même nature que la grâce en ce que le Président le fait seul. La décision, là, n’empiète pas sur l’autorité judiciaire française en ce que celle-ci s’exerce à l’intérieur du territoire national et que les exécutions ciblées sont seulement faites à l’extérieur de celui-ci. En revanche l’autorité, parfois dérisoire, des pays étrangers dans lesquels les exécutions sont effectuées, est méconnue. L’éventuelle légitimité du Chef de l’Etat à cet égard, repose sur le double constat qu’il est Chef des armées et que le pays supporte un risque que justement l’armée a mission de prévenir. Pour autant, une élimination conduite de cette façon n’est pas une opération militaire mais une condamnation individuelle suivie d’une exécution.

Au-delà des questions circonstancielles propres à une grâce et à une exécution, celles-ci sont exorbitantes des prérogatives traditionnellement reconnues au pouvoir exécutif dans les démocraties modernes. C’est sous l’Ancien Régime que le Roi réunissait en sa personne l’autorité de faire les lois et de les mettre en œuvre et celle de rendre la justice dont il ne faisait que déléguer l’exercice aux tribunaux sans jamais renoncer à sa prérogative de se saisir de tout litige ou de toute décision déjà rendue.

La grâce est à l’évidence une survivance de la Justice retenue du Roi, contraire à la séparation des pouvoirs mais faisant subsister la possibilité du pardon que la Nation se réserve au travers du seul élu qui émane d’elle tout entière.

Le choix de faire occire tel ou tel, réputé dangereux pour le pays, est plus grave en ce qu’il n’est plus question de pardon mais de punition définitive. Nonobstant la légitimité politique de celui qui l’assume, cette décision n’en est pas moins une transgression absolue par laquelle le Prince seulement borné par son idée de la morale et son bon sens, s’arroge un pouvoir de vie et de mort. Au contraire du droit de grâce, ce droit de tuer reste une ombre portée sur l’Etat de Droit par la Raison d’Etat.

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