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Le blog de Stephen Monod
9 juin 2016

De la Mémoire

Montaigne écrivait que “De tant de milliasses de vaillants hommes qui sont morts depuis quinze cents ans en France, les armes à la main, il n’y en a pas cent qui soyent venus à notre connaissance.“ Les XXème et XXIème siècles ont souhaité réparer cette injustice même si le souvenir reste fragmentaire et plutôt centré sur les guerres du XXème siècle. Se posent dès lors les questions du “quand“ et du “comment“ auxquelles il ne peut être répondu qu’après avoir réfléchi à celle plus générale du “pourquoi“.

 Un exercice de mémoire n’est pas un enseignement et aucune commémoration ne sera une leçon d’histoire accélérée ou d’instruction civique de rattrapage. Celles et ceux qui ignoraient la bataille de Verdun avant les dernières commémorations n’en sauront pas davantage maintenant, peut-être moins en réalité. Ils se souviendront d’une hécatombe, mais sans comprendre que si ces morts furent victimes de la légèreté des gouvernements et de la folie du temps, ils furent aussi en dernier ressort les défenseurs héroïques et volontaires du pays. De même, le lien un peu forcé que les autorités cherchent à établir entre la Grande Guerre et le temps présent, fait perdre de vue qu’entre 1916 et 1917, entre Lorraine et Somme, c’est l’Europe, concert des nations investies de la direction du monde, qui s’est abimée pour toujours. Ainsi, l’objet d’une commémoration ne peut être autre chose que l’hommage d’une nation à ses morts.

Se pose alors la question de “quand“ : trop de commémorations les banalisent et comme en outre il est impossible de faire une cérémonie pour chaque guerre, il faut nécessairement choisir. Que chaque collectivité regroupant les vétérans de tel ou tel conflit en entretienne la mémoire est à la fois naturel et bien. Mais la Nation, elle, doit se souvenir de tous ses morts : ceux tombés en Crimée ou jamais revenus de la retraite de Russie ne sont pas moins dignes de respect que ceux des guerres du XXème siècle. Il est grand temps de retenir un seul jour de commémoration de tous les morts de toutes les guerres, qui serait un moment unique de recueillement national. Sans doute à cet égard, le 11 novembre est-il le moment le plus juste : parce que le mois de novembre est dans la tradition de l’Histoire de France celui des morts, parce qu’à l’échelle de l’Histoire, la saignée de la Grande Guerre fut la plus profonde et parce que la symbolique de la 11ème heure du 11ème jour du 11ème mois peut parler à chacun.

Reste la question sans doute plus difficile du “comment“. Comment est compliqué car il s’agit de prêter aux morts des préférences et donc de parler à leur place. La polémique sur le concert rap envisagé à Verdun ou sur celle des enfants y ayant couru entre les tombes est symptomatique de la difficulté de l’exercice. Pour qu’une commémoration ait le talent de ramener les morts, depuis leur passé lointain jusque dans les consciences du présent, une certaine réappropriation de leur destin dans un mode d’expression contemporain n’est peut-être pas aussi choquant que d’aucuns ont pu le penser.

 

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