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Le blog de Stephen Monod
6 novembre 2014

De la tarte à la crème

Il est une tarte à la crème largement répandue selon laquelle le Français serait mal à l’aise avec la mondialisation parce que mal à l’aise avec l’argent et que ce malaise tiendrait à ses racines catholiques et rurales.

Etablir un parallèle entre catholicisme et méfiance envers l’argent, revient à s’affranchir d’évidences historiques et aussi contemporaines. La France n’a jamais été moins égalitaire que lorsqu’elle était un pays catholique proclamé c’est-à-dire sous l’Ancien Régime. La société d’Ordres qui a disparu avec la Révolution Française était une société dont le principe même était inégalitaire et dans lequel l’Eglise catholique avait la première place en sa qualité de premier Ordre devant la noblesse et le tiers-état. Par ailleurs, il suffit d’arpenter Versailles, Florence, Venise, Vienne et bien entendu Rome pour se convaincre que l’opulence, le luxe et donc l’argent qui les rendent possibles n’ont jamais été sérieusement entravés par le Catholicisme. Il suffit en outre de se souvenir que la banque n’est pas née aux Pays-Bas ou en Angleterre après la Réforme mais dans l’Italie catholique du XIIème siècle et que les Lombards (un terme générique pour désigner les banquiers italiens) étaient bien catholiques, condition au demeurant requise pour être de façon durable les financiers des rois et de la noblesse en ces temps où la religion imprégnait la société. En avançant dans le temps, il suffit de regarder l’Europe d’aujourd’hui pour s’apercevoir que la pratique catholique est beaucoup plus faible en France qu’en Italie ou en Autriche sans que ni italiens ni autrichiens ne soient réputés particulièrement allergiques à la fortune.

De même, lier la ruralité à la méfiance de l’argent oblige à avoir été citadin depuis plusieurs générations et à n’avoir jamais vu un marché aux bestiaux ou observé un paysan négocier les produits de sa terre.

Pourtant en France, discours et propos traduisent souvent une méfiance envers l’argent et un goût pour l’égalitarisme. Ce dernier sentiment n’est pas le fruit d’une pensée religieuse mais une trace laissée par la Révolution française qui fut aussi un soulèvement contre une société inégalitaire. La méfiance envers l’argent vient de plus loin, tirant son origine de la hiérarchie des valeurs de l’Ancien Régime pour lequel le service du Roi et donc de l’Etat l’emportait sur la recherche de l’intérêt privé. En France, les Rois ont inventé l’Etat c’est-à-dire la puissance publique en charge de l’intérêt commun et en parvenant à le rendre consubstantiel à leur propre personne, ils lui ont donné la valeur sacramentelle qui leur était attachée. Alors, servir le roi était l’aboutissement de toute ambition digne de ce nom et le souci des familles bourgeoises enrichies, était de s’agréger à la noblesse en achetant domaines et terres, en vivant de celles-ci au prix de l’abandon de leurs activités commerciales et à terme d’un certain appauvrissement. C’est ce sentiment là qui perdure dans la conscience collective française, relayé au XIXème siècle par l’image balzacienne du bourgeois se démarquant des valeurs anciennes largement idéalisées.

Le regain de méfiance envers l’argent et ceux qui en gagnent, n’est pas la conséquence d’un héritage catholique ou rural mais une expression de désarroi face au déclin de la puissance de l’Etat, sapée en dessous par les effets de la décentralisation, au-dessus par ceux de la construction européenne et sur ses côtés par la mondialisation.

 

 

 

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